Paul dans sa vie

Suite au conseil de Patrick ( voir commentaire) j'ai regardé le film "Paul dans sa vie" Et là le choc!  je l'ai regardé deux autres fois avec autant de plaisir.
Incroyable, Il vit dans la Manche et en plus il tient un carnet au quotidien...





Le film de 2005 : Dans la Manche, Paul Bedel aura bientôt soixante-quinze ans. Il est vieux garçon, paysan, pêcheur et bedeau. Il vit dans une ferme d’un autre âge avec ses deux sœurs cadettes, célibataires elles aussi. Cette année, ils raccrochent : «Ça va faire un vide dans le paysage…». Leur territoire, c’est le cap de la Hague. L’air y est vif, les vents imprévisibles, le granit rugueux, l’horizon immense. Ici, Paul a résisté aux sirènes de la modernité, soucieux de préserver et cultiver son lien à la nature. Au XXIe siècle, il nous l’offre en héritage.


« Kek tu veux faire ? …c’est un film qu’tu veux faire? Tu vas te donner bien du mal. Les gens doivent nous trouver folkloriques. …Mais moi, je ne suis pas dans le folklore, je suis dans ma vie."


Pendant quarante années, avec l'aide de ses deux sœurs, Paul aura mené une vie de besognes, de bricolages opiniâtres et de va-et-vient méditatifs en usant d'un matériel agricole datant des années 1950, et mille fois réparé. Des journées réglées sur les variations du ciel, la traite en plein champ, et ces artisanats d'autrefois ( le beurre baratté, les volailles en liberté, les escapades de pêche à pied aux grandes marées, etc. ). On pense à cette mention de Julien Gracq qui, dans « Lettrines », parle des mille et une activités gagne-petit qui, jadis, verdissaient le quotidien des campagnes. C'est exactement ça.
Chaque matin, on interroge le ciel qui décidera de la journée. Les couvées de canard grandissent, les vaches font leurs veaux, les gestes se répètent. C'est le temps, au fond, qui est le vrai sujet du film. Au loin, du côté de Beaumont ou de la baie du Houguet, on devine la silhouette de l'usine de retraitement de la Hague qui, construite dans les années 1960, aura changé la vie des paysans du coin, presque tous devenus salariés. Paul, lui, aura refusé ce « lâchage » et résisté. Obstinément accroché à ses fidélités d'un autre âge, il aura en quelque sorte interrompu l'écroulement du temps. Le temps d'une vie. La sienne.


Paul suit l'heure solaire et lit le journal le lendemain de sa parution, quand l'un de ses frères le lui amène. Placide, il regarde le Salon de l'agriculture à la télévision : le folklore, il est là, dans cette rassurante image entretenue par l'imaginaire. On y parle de valeur ajoutée, de cochon au goût de noisette : "Tout a goût de noisette !", ironise-t-il, lui qui, au fil des ans, a dû s'habituer à voir les champs qui entouraient les siens désertés.

 "Pour avoir un œuf, il faut que je laboure, récolte du blé pour en nourrir ma poule. Tu parles d'un boulot !"



Il a toujours voulu vivre "au plus près du naturel", il tient un journal intime depuis toujours, dans lequel il consigne ses faits et gestes, et le temps qu'il fait, le temps "qui n'est jamais perdu". Depuis toujours aussi, il est bedeau à l'église du village, le curé lui a confié mission d'apporter la communion aux personnes alitées. La première fois qu'il a donné l'hostie, c'était pour son père. Emotion.

Paul a les larmes aux yeux lorsqu'il parle de son père. Il dit aussi que ses vaches font partie de la famille depuis des générations, que chacune est le portrait craché de sa mère, et que ça lui fait quelque chose de vendre ses veaux avant de prendre sa retraite.

Par sa méticulosité pudique, sa patience, sa lenteur, son attention aux menus détails, la structure et la tonalité du film font songer à du Depardon, une parenté que Mauger ne renie d'ailleurs pas. Mais le personnage de Paul, dont c'est peu de dire qu'il crève l'écran, ne participe jamais du misérabilisme. Silhouette courbée sous le vent d'ouest, gâpette sur les yeux, paisible face à la vieillesse qui vient, il manie un humour aussi décalé que lui. On est dans du Millet (celui de « l'Angélus ») mais jamais très loin de Buster Keaton, comme le dit le réalisateur lui-même. C'est très beau. Chapeau l'ami !

Jean-Claude Guillebaud




« je suis heureux avec rien, avec rien de ce qui s’achète mais aussi avec rien de ce qui se voit, je suis heureux dans ma vie qu’on m’a donnée » .

1 commentaire:

  1. Que j'aime ce "personnage"! J'ai adoré le documentaire, m'apprête d'ailleurs à le revoir, et suis en train de terminé le livre "testament d'un paysan en voie de disparition", acheté à ST Vaast la Hougue cet été. Merci pour ce beau billet!

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